HARDOUIN Nicole

incertain regard – N° 11 – Novembre 2015

Carte blanche à Jean-Paul Gavard-Perret

Nicole Hardouin

L’amante sauvage

Partager une nuit dans tes étoiles, corps étirés, feuilles à feuilles agrippées, dialogue de la peau et du silence, de la salive et des murmures. Être un filet d’eau, soulever tes rives aux rumeurs chavirées de gourmandises, bousculer les océans, retourner la fureur des vagues pour t’ensauvager, naviguer à contre-courants sur tes abois en débord.

Je veux bien boire la mousse de l’aube si elle a les couleurs de tes jardins cachés, croquer l’écorce du jour lorsque vibrionne l’alphabet de nos failles, arc de chair tendue.

Dans  un cloître d’ombre mes envies prennent couleur d’asphodèles et de tubéreuses pour fouler le pavement du vivre aux jointements incontrôlés et incontrôlables. Des myriades d’étincelles irritent les pores de ma peau, réinventons des sentes, parcourons nos criques, faisons danser les lucioles dans une mantille de ténèbres.

Attendre jusqu’à hurler dans la torsion d’une lenteur subtile, attendre ivresse à portée de chair, ne pas bouger, exaspérer la soif. Nous possédons la foudre et les éclairs, filets à la reliure des cicatrices.

Une danse barbare s’origine dans l’ornière des tabous, nos branches font la roue. Ma langue-basilic cueille les boucles du soir sur le pourtour de tes lèvres

image inversée

ellipses d’eaux

envol rouge

nuit tachée de lèvres

Encercle-moi dans les échancrures des heures et le torrent de tes insomnies

couleur d’airelles.

Le désir pousse ses enchères en traversant le brasier de la source.

Serpentines coulées

Sabbat.

***

Pour célébrer cet office de la chair, nous demandons une chambre sans passé avec un fronton de légendes. Mon sanctuaire craque contre tes  brisants. Immobile je tourne la mappemonde jusqu’à tituber, tous les continents ont ton visage. Les incertitudes s’ancrent l’oblique des chimères, elles ont ventre d’hermine.

Mes cachemires se lustrent au poil fin de tes nervures, mes buissons s’adossent à tes assises. Alluvions

embrasse-moi

tu poses les épingles d’un bâti pendant que je découds un nuage pour t’offrir trois notes de la musique des sphères

déshabille-moi

prends le temps d’habiter mes perles et vallons, tremble dans l’abécédaire des conjugaisons réinventées. Mes lèvres musardent encore et encore sur ta toison d’homme et dessinent des houles qui font trembler la mythologie des seuils.

viens

spasmes et tremblements, je veux m’ébrouer dans tes incendies, te laisser en cendre dans l’ambre de mes ombrages.

éclairs au bleu de tes veines

vanne les épis

croque-les

fais-les éclater

mange-les

mange-moi

j’habite tes architectures.

***

Pas à pas, pas dans pas, contre toute logique tu as passé le gué. Pourtant je ne sais rien, ni la meule ventrue, ni la mousse bleue.

Je ne sais rien, ni le bruit de la source, ni ses nacres, je veux juste encercler tes sels dans la violence et la lenteur de mes glissements, te dresser contre les embruns de mes délires jusqu’à te laisser haletant sous des houles d’effleurements, jusqu’à retenir tes tremblements dans l’écume d’un pistil

je ne sais rien, rien,

nothing

mais j’aime le festin perlé de nos étreintes, je bois le velouté de leurs écumes. Là se tressent offrandes de sultanes, gestes d’oblates, souffle et souffre, audaces de vague, soies et rosée. Nos lèvres, alliance / alliages se fondent

calcination

enroulement des langues. Tu es le conquérant de mes créneaux, le paladin de mes murailles, ruisselantes orfèvreries.

je ne sais rien

peut-être t’ensauvager avec la lenteur du liseron et la force des hordes mauresques, bourrasques pour recouvrir ton corps, feux d’eau jusqu’à incendier l’océan,

Neptune désarmé, sirène à la fourche du ressac, à la fourche de la raison, ne me demande pas d’être habile, ni logique,

nothing

deux êtres

enroulement

vibrations

pulsion d’une sève occulte.

Tu me fais vivre à la racine de mes songes. Archet de mes fantasmes, ta langue cherche l’exigence de la mienne, mes mains ombrent la complicité de tes reins, haute portée sans bémols, dièses sur les peaux ondulations de soupirs, transes, fesses en désirade, alcôve de miel.

Je déchiffre tes pléiades, sexe offert j’écris la fable de tes galaxies, voyage intersidérale parmi des constellations révélées, perce tes douves : jaillissement.

Mon souffle maraude en croisade autour de tes places fortes. Danse sous mes paupières un phare de lumière : ton visage, visage venu, revenu inscrit dans la sinuosité de la chair, visage hiéroglyphe sur le chemin où il n’y a pas de chemin.

Tourbillon, valse lente à l’envers, à l’endroit qui taille les corps jusqu’à la moelle, pas de deux sans pas. Tu habites précisément là où on n’habite pas.

Entre silence et tremblement, manger l’absence, nuages, soleil, le début et la fin du cri de l’oiselle, brûler dans les torchères de ton corps, me noyer dans ta toison et laisser sur le pourtour de tes lèvres tous les parfums de l’Eden. Bivouaquer  dans la signature de ton corps,

brûlure extrême.

***

Frôlant tes fenaisons, mes doigts se plient un à un au-dessus de ton torse, la pulpe d’un index chasse l’ombrage du petit matin, l’écarlate d’un ongle joue avec ta poitrine tissant une éclosion d’étincelles sur le pourtour de tes seins. Ne bouge pas, je me penche pour faire connaissance avec la saveur de ton ventre, je perds un souffle sur les syllabes de tes hanches, mes lèvres tracent une sente dans ton attente, le pont de tes cuisses livre passage à l’andante  d’un chant, le mien, le nôtre.

Imperceptiblement je bouge,  corps  ployé, genoux à terre je suis au balcon de tes racines, tu trembles, ta respiration s’accélère, écoute les cantilènes des routes naissantes.

Le désir noue les élans, au donjon de ton abandon ma bouche festoie lentement, profondément. Je retiens le chant des fugues, parcours tes sarments, explore un cep qui s’abandonne, retiens ses gonflements, bourgeons du désir, silence au bec corail.

Serpentaire sur ton corps je porte les syllabes de ton feu à son extrême embrasement

vogue mes alphabets

je suis source, tu es puisatier.

***

Le soleil a étouffé les loques de l’aurore, sur la plage crêtée d’écume la mer monte à cru, au loin le port compte ses rapines, un gnome effeuille l’antiphonaire de nos regards. Après l’équinoxe de nos oraisons, je fais des traits sur le sable, halte sur les bornes du songe.

Combien de lèvres ont lissé ton prénom, l’ont mordu, lui ont donné corps ? Sous chaque bouche tu as été nouveau, tu t’es redécouvert. Oui tu m’as troublée, plaisir, douceur enveloppante étaient un hors–temps, virtualité et réalité, était-ce ou n’était-ce point ?

Gorge à gorge

Puits à puits

Spasme, sperme sueur

Avons-nous rêvé ? Les jalousies descendent sur les portes de l’amour.

Fils du vent, tu as cru pouvoir jouer avec deux arbres à la fois. Tu en as juste cassé un. Tu étais archer et je n’avais pas de bouclier. Tu as décousu les plis de l’étoile, jeté la mangue, celles où le feu coulait de tes mains d’oiseleur.

Nuit en lambeaux

Rideau déchiré

iris dilaté

colonnes fissurée

encens inodore

pierre descellée

clous acérés

cierges consumés

lys fanés

il neige sur la pente de mes hanches. Feu de ténèbres

Dans le sanctuaire des ombres tourmentées l’attente creuse la morsure, solitude aux abois, éclat obscur de l’informulé. Les souvenirs s’abreuvent au calice du silence. Dans l’infinie transparence d’un songe je communie à la nudité de l’absence, caresse les hélianthes pour avoir moins froid. Je déchiffre le cadastre des nuages en épelant ton prénom.

Ailleurs, tu as oublié la femme-louve aux frissons de rosée, aux promesses d’ombre

l’amante sauvage

dans un bouquet de menthe.

 

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