incertain regard – N°18 – Eté 2019 : Carte blanche à Hervé Martin
Mario Urbanet
Variations en noir et rouge
poèmes
2019
tourbillon né de rien
juste l’intention d’un mouvement de lettres
qui se rapprochent
le mot naît
l’idée en gestation s’affirme
cap sur le devenir
bobine de fils qui se tissent
les mots s’assemblent et font verbe
le noyau de vie progresse
vers l’ultime révélation
et par le poème accompli
va interpeller l’inconnu qui passe
surgie de l’ombre pour vivre en ombre
juste un corps
dévolu à servir un possesseur
semblable à la différence infime
de quelques chromosomes
lui aurait pu naitre elle
de trop de soumission éclatera la révolte
terrible et légitime
l’esprit occulté se réveillera
inéluctablement
promise aux oubliettes du temps
recluse à l’air libre
femme gommée qui efface toutes les autres
anonyme
le visage qui vaudrait identité
uniforme
la silhouette qui vaudrait élégance
la main si habile à être serve
osera lever un coin du voile
s’autoriser une seconde naissance
apparaître pour ce qu’elle est
l’irremplaçable mère
de l’humanité issue d’elle sinon de qui…
fiable le ballon de rouge
amant de cœur
ancrage au port
dernier rempart contre la chienne de vie
reflet mature des ballons rouges de l’enfance
que l’on fixait aussi intensément
d’un œil ingénu
quand il s’échappait libre et fier
dans un ciel vide
ils emportaient nos rêves pour plus tard
pour maintenant
comme c’était bien la vie d’avant !
le rouge et le noir se portaient en étendard
pour « lutter à Paris ou mourir à Madrid »
je rêve d’un chiffon rouge
rutilant de larmes de rubis
brandi au bout du bras de la révolte
le temps d’un somme
il germera un jour une graine de fierté
celle de tous les miséreux
pour éclore par un matin clair
à défaut de grand soir
en attendant il faut bien vivre
la vaillance se mesure à l’usage du temps
il faut
une accumulation de ressentiments inassouvis
pour que l’on trempe son mouchoir dans le raisin
et que l’on vendange les bannières
qui conduiront les cortèges au printemps du monde
le coquelicot en sa rouge humilité
porte en lui tous les sentiments humains
pour la flotille des errants
que disperse constamment un destin tragique
sur une mer amie/ennemie
quel rachat sera nécessaire
du troupeau
à l’appel d’un pasteur céleste ridiculement dérisoire
par bonheur des humains conjurant le sort
forment l’allégorie lumineuse
d’une croix du sud salvatrice
indiquant le chemin du salut
le caravanier ira porter les pierres plus loin
dans la paix des sables
où naîtra une nouvelle Atlantide
quelles trompettes
feront crouler les frontières
quel olivier
offrira un rameau inaltérable
quelle étoile
annoncera l’avènement de la raison
la colombe de Picasso
devenue sans papiers du ciel
expulsée du monde connu
divague dans la galaxie
à la recherche d’une planète
plus accueillante
à la source du monde neuf
il y aura les mains de la première femme
matrice au savoir-faire généreux
aux douces caresses
qui d’une fange pure
modèlera l’espèce future
polymorphe et bigarrée
la planète idéale
aussi lisse et douce
que la peau d’un pubis nubile
vierge de toute pollution
elle sera forte
d’une langue à deux verbes
le présent-souvenir et le présent-avenir
et lux perpetua
Mario Urbanet est né le 28 Novembre 1935 à Saint-Germain-en-Laye dans une famille originaire du Frioul (Italie du Nord). Conteur depuis 1997 il assure également des lectures, notamment pour la Maison de la Poésie de Guyancourt (78). Il préside l’association du groupe Poètes d’ici qui rayonne sur la Ville Nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines.
Plusieurs de ses poèmes ont paru dans les revues Aujourd’hui Poème, Ecrit(s) du Nord et Plumes au Vent.
Deux ouvrages, un recueil de poèmes et une adaptation de contes traditionnels bulgares, paraîtront en 2005.
Mur de Sable (Brûlures d’Algérie) – poèmes – aux éditions Le Temps des Cerises et Les facéties de Pierre le Rusé aux éditions Albin Michel.
Ce poème intitulé impressions est inédit.
impressions
Turner
initial color
la forme s’estompe rentre dans l’œil
juste la substance lumière diffuse sur
le lac re-création du spectre primaire
cercle plein enfantement solitaire la lune
le reste est ombre sombre rien qui
compte ou se remarque faire à voir
retour d’un lointain incertain voiles amantes
endormies la caravelle lasse croise
deux passeurs pour quel trafic matutinal
salutations sobres au soleil levant
entre Mantes et Vernon la Seine
riance la peinture ensoleille esthétise
le dur labeur des paveurs anoblit le sort
des gens de peu et de tout venant
taches révérences élégiaque avivement
l’arapède toise l’exilé maître d’un empire
déchu la ville s’estompe le rêve
passe le ciel rougit l’art subsiste résiste
la gloire feinte est défaite défunte
champs de bataille rien n’y pousse de bon
sur les corps morts trop de déchets
oriflammes et baïonnettes dérision gâchis
Venise irréelle dans sa présence telle
qu’elle hante les cœurs de ses masques
Tamise nimbée d’argent le Parlement
fantôme promis au bûcher deux bavards
sur un môle fument des mots aussi les
steamers les fumées iront loin et tard
Whistler
Londres grisaille bassine de brouillard
rames gréements coques forêt
intemporelle le bois au pied marin flotte
T
u le sang de Turner écarlate colorie
r une ville sur le fleuve aux eaux calmes
n le soleil se noie dans la Tamise
M o n e t renaît dans impression de Monet
r matrice le jaune enfante le rouge
qui reflète l’autre ? l’œil abdique laisse
la main peindre guide la brosse
le pinceau lance ses s. o. s. en morse
avertit des générations de peintres
le soleil se couche sur la seine théâtral
dans un décor de mille et une pluies
miroir buée respiration tout s’efface
tout se réinvente Tamise d’argent lisse
satin futile qui rutile utile partition
pour ligne musicale mots notes en gris
Whisler
le point rouge carmin là à droite et
sa virgule vaut que le reste soit nuit
néant abyme triste la toile resplendit
la fusée qui retombe instant d’après
l’après éblouissement peint devient
événement le futur tout retombe
scories cendres le futur est cendre
Monet
la couleur est blanche lente re-constitution
à poursuivre lettre à finir chacun
débâcle sur la Seine à Bougival
les glaçons s’enfuient de blanc vêtus
gouttes cristal engelures prisonnières
le pont de Waterloo bleu horizon d’une
rive à l’autre la guerre chante et meurt
Austerlitz s’englue dans la purée de pois
exactement à cet endroit le soleil pose
chaque jour son image sur la Tamise
les deux rameurs ont disparu Monet non
l’or vient faire la planche en surface
cligne dans l’œil ébahi du clochard
l’oubli reste au fond s’enlise dans le limon
Londres se consume dans son regard
Monet peint le feu l’eau elle même brûle
ses vaisseaux sa mélancolie ses amours
Venise est bleue Venise est nue Venise
est sombre Venise éclate au couchant
s’ouvre au levant Venise est couleur de
palais de taudis beauté intérieure qui rit
Mario Urbanet Paris Grand Palais 25 novembre 2004
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Ces textes sont d’abord parus sur www.incertainregard.fr, site créé par le poète Hervé Martin en 2002. Ce site contient les écrits parus dans la revue de 1997 à 2015.
La municipalité devient l’éditrice d’incertain regard en 2015, avec une nouvelle adresse : www.incertainregard.net
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