ROSIN Pierre

incertain regard – N°13 – Novembre 2016

La ligne de ma main vers ton épaule
Remonte jusqu’à mon front
Reviens sur ton visage
Traverse une narine
Du lobe de mon oreille
Elle rejoint ton cou
Mon bras droit ta main gauche
Ma poitrine ton ventre
Ma hanche ta cuisse
Mon genou ton mollet
Mon pied ta cheville
Le fil serpente
Couture invisible

Chacun des liens
Porte un nom une date
Sa charge de souvenirs
Un soir d’été 1971
Un premier voyage
Cette maison à Bonneuil Matours
Le chien Gribouille
Notre fille Anne
Des années de travail de routine
Un petit-fils une petite fille
Quelques meurtrissures
Nos amis si importants
Ceux qui sont partis
Les liens s’enchevêtrent
Solides
Comme on tresse
L’autre part de soi

Vivre
Des instants de grâce
Voyager dans la communion des autres
Créer      partager      rire
Épaule contre épaule

Ce n’est jamais vraiment non
Pas oui non plus
L’amitié, l’amour, l’épanouissement
Comme des leurres
Chaque mot chaque caresse
Comme un mensonge

Le vide creuse les doutes
Évide les chairs

Il faut des mois des années
Arracher sa peau
Arracher les ombres les boursouflures
L’orgueil
Ne garder
Portes grandes ouvertes
Que la ligne nue dans un paysage délavé

C’est une image d’autrefois
Sur une feuille d’or
Enluminure
Anneau
Alliance de nos corps
Elle garde la trace
D’un amour ancien
Et saigne encore

Entre la terre et le ciel
Il y a les arbres
L’amandier
Le tilleul
Quelques arbres de Judée
Une haie de lilas des lauriers seringas charmes
Plantés au hasard
Coups de cœur ou rencontres
Des vergers de mon enfance j’ai l’amour des reines-claudes quetsches et
mirabelles
On trouve aussi des pommes des cerises des figues
Mais peu
La terre est ingrate
Il faut du temps pour que les racines cassent le caillou
Que les arbres s’installent dans leur amplitude

J’aime la beauté du moindre rameau
J’aime la lenteur de leurs gestes
Leur silhouette
Le bruissement des feuilles
La douceur de l’ombre
J’aime l’idée que je leur ressemble