PETILLOT Joëlle

incertain regard – N°15 – Novembre 2017

Putain d’ange

L’humanité qui boîte au mur
Appuie ses rêves en haillons
Sur le béant de ses blessures
J’aimais
Hommes touchants de mésusage
Toucher
En fée des chapardages
Vos corps tendus
Vos mains-carnages
Je happais depuis la fenêtre
Où je guettais
Vos pas-sonnettes
Votre montée vers mon étage
J’aimais
Ombres de maris ô marins
Voguer
Sur l’ombre de vos reins
Mes bras dressés
En étendard
Déplier loin votre regard
J’aimais
Mordre dedans vos solitudes
Clouer le rouge sang des lèvres
A l’ourlet
De vos phrases blêmes
Vos râles froissés comme un drap
Entre mes cuisses de combat
Sous ma peau
Mes muscles de chèvre
J’aimais
Oui j’aimais tout cela
Reine pute dans la lumière
Guettant vos cris sous ma crinière
J’aimais
Vos morsures
Vos entraves
Vos lâchetés
Mes rats de cave
Vos larmes sans enfance, ô gué
Et ce poignard
Que je cachais
Pour vous épingler de sa lame
Pour recueillir en un baiser
Le tout dernier
Rebond
De l’âme
Vos agonies
Superposées.

La clé

Elle a des volutes cuivrées, où des reflets dansent. Gît en elle un pouvoir immense : elle ose le voyage, l’échappée, le rêve. Elle sait la peur juste avant le geste, la paume fragile, les doigts tremblants. Si elle tombe, elle rend un bruit de cloche frêle, la belle jetée de haut peut rebondir. Elle se donne à tous les temps, si prompte à ouvrir les coffrets de lettres gisantes, les portes des pièces qu’on quitte pour s’inviter dans la suivante. Elle tient dans ses formes rondes le passé, le présent, l’avenir. Et remplit tout juste la main.

Parfois elle se fait infime et donne deux ou trois tours pour qu’un air grêle s’échappe d’une boîte à musique.

D’humains à humains, quel seuil franchir sans son aide ?

Il est un lieu dans l’infini des choses, que j’ai rêvé d’abord, puis doucement a pris des contours, un relief, une solidité. Un jardin, un regard, un être, des montagnes dessinées au loin. Un muret, un corps assis. Un paradis, peut-être.

Une clé serait utile, mais elle se perd dans des poches trop grandes ; un service qu’elle me rend. La trouver, c’est plonger en toi, t’ouvrir en grand comme on le fait d’une maison longtemps fermée, en laissant tous les vents s’engouffrer au creux de la pierre, gicler le sang du bois, et c’est violent, irrespectueux, dommageable enfin.

T’atteindre, et m’effacer. User de cette clé que tu as toi-même dessinée, au fil d’un fil tendu de mots complices, reconnus. Cette clé est la musique même, de sol, de fa, des songes, la clé universelle ; tu l’as posée dans ma paume en me disant : « N’en fais rien ».

C’est un objet de brume, une transparence irisée, un labyrinthe qui finit par se fondre, lèvre à lèvre, avec les lignes de ma main. Ainsi est-elle ancrée. Mais elle palpite, bat. Ne peut pas être remplacée comme dans nos villes froides par un code qui l’est tout autant.

Inscrite. Elle est nous avec le poids de ce qu’on tait, et celui de ce qu’on dérobe. La part d’ombre qui est nôtre, les fêlures timides évoquées à mots de givre, légers comme la buée d’un souffle au cœur de l’hiver.

Tu la dessines, afin que je te trouve au cœur de cet hiver-là, mais pas trop, pas trop vite, pas n’importe comment. Je la trace sur le sable de ta paume ouverte.

Pour que tu cesses de me regarder, et que tu me voies.

Ne prends pas le chemin droit. Passe par l’océan où peut-être tu jetteras la clé vers les dunes, là, au bout. Vers l’oubli bienveillant, car je sais que c’est cela que tu veux.

La clé m’entraîne vers un port dont je ne connais pas le nom.