MATHÉ Jean-François

incertain regard – N°14 – Mai 2017

Carte blanche à Cécile Guivarch

Jean-François Mathé
poèmes inédits

Confiances

1.

Pas de but, sinon ce qui le devient au passage,
pas de lien, sinon à briser, pas de lieu
sinon à traverser vers l’exigence de l’horizon.

Partout était ta patrie ouverte.

Et revenu du monde entier,
même s’il était en guerre,
tu étais sans blessures,
comme du vent mordu par les chiens.

2.

Quand le souffle te manquait, le remplaçait
l’indestructible espoir d’atteindre le sommet de la montagne
où la poitrine du vent et la tienne mêlaient leurs cœurs
et gonflaient de battements
le silence d’un futur orage.

S’approchait la plaine
où le vent et toi répandiez une parole expulsée des mots
comme un fleuve en crue de ses rives.

Habiter le monde en le débordant.

***

Vieux voyageur devant l’éternel,
tu avais fait de nous tes auditeurs
pour que les innombrables feuilles
qui bruissaient en toi
et que l’âge allait bientôt dessécher
se greffent et revivent
aux branches nues encore de notre jeunesse.

Ce que tu avais à nous raconter
nous emportait, nous dépassait
comme des légendes dont chaque mot
inventait le suivant.

Quand tu te taisais, nous étions devenus
des oiseaux perchés à la cime d’un rêve
et dont le coeur battrait bientôt
plus vite que les ailes, après l’envol
vers les étonnements que tu disais plus nombreux
dans la vie que la foule d’étoiles dans ta fenêtre.

***

On savait qu’un jour
la chanson dont en passant
tu faisais ton sillage finirait avec toi.

Mais toi disparu, ta voix est restée
comme un oiseau qu’emmure l’air.

Il y a dans toute absence
quelque chose qui nie le vide
qu’auraient laissé les départs, les morts.

Dans le ciel qu’elle agrandit
toute absence est un soleil
qui n’a pas raison
de l’ombre d’un brin d’herbe.

***

Ce qui chante à l’intérieur de l’eau
vient de plus loin que la source
comme nous-mêmes venons
de plus loin que notre naissance.

Tout ce qui passe est un fil
tiré de l’inconnu vers de l’inconnu et

même, que savons-nous du bonheur d’aujourd’hui
qui soudain nous emplit d’un feuillage
dont on chercherait en vain
les branches qui le portent ?

***

J’attendrai que l’aile de la lumière
aille plus loin que son vol
pour devenir la nuit.
Et je resterai,
front contre la vitre gelée,
à apprivoiser le froid
qui m’appellera du dehors.
Quand je l’aurai rejoint,
à l’étoile, un signe :
elle et moi serons du même côté de la vie,
au-delà d’un mur invisible
que seuls nous aurons franchi
et qui nous rendra inaccessibles.