LOISEAU Valérie

incertain regard – N° 12 – Mai 2016

Rencontre avec Valérie Loiseau, graveur-sculpteur

par Hervé Martin

Valérie Loiseau vit et travaille au Mesnil-Saint-Denis dans ce territoire des Yvelines dont elle est originaire. Après une période parisienne de plusieurs années, elle est revenue vivre dans ce département notamment pour y retrouver la nature, source principale de son inspiration.

Très tôt, Valérie Loiseau a su qu’elle ferait un métier artistique.
En 1986, elle suit une année préparatoire aux Beaux-arts de Versailles où elle réalise sa première gravure avant de poursuivre son apprentissage artistique à l’ESAG de Penninghen. Elle complètera sa formation de graveur à l’ADAC, atelier de la ville de Paris puis dans l’atelier de gravure de la faculté de Saint-Charles, Paris I. Elle sera ensuite durant un an «ouvrier imprimeur tailledoucier» dans l’atelier de Tanguy Garric où elle découvrira toutes les subtilités de l’impression d’une estampe.

Site : http://www.loiseauval.fr

Hervé Martin : À quel moment as-tu été attirée par l’art ?

Valérie Loiseau : Aussi loin que je m’en souvienne, j’étais à l’école et je devais être âgée d’une quinzaine d’années. J’étais très introvertie et l’adolescence en fut le point culminant. Le dessin s’est alors révélé comme un excellent médiateur pour traduire des émotions trop fortes et favorisa de nouvelles amitiés plus sincères et moins futiles.
J’ai souhaité exercer un métier artistique car j’y trouvais un savoir-être juste où la relation humaine prenait pour moi tout son sens.

Quand ta passion pour l’art s’est-elle concrétisée ?

Lorsque je suis entrée aux Beaux-arts de Versailles, juste après le baccalauréat. Et j’ai enfin aimé l’école et le mot apprendre a repris toute sa force. Je n’étais plus en classe mais en atelier à découvrir l’ensemble des techniques d’expressions artistiques ainsi que l’histoire de l’art.

Comment s’est déroulée cette première année d’apprentissage ?

Je passais mes journées à dessiner en observant les plâtres, les modèles vivants ou les natures mortes. Je me retrouvais dans une relation intime avec le sujet d’étude et les professeurs, bienveillants, nous encourageaient à creuser cette dimension personnelle. Il y avait dans cet enseignement artistique quelque chose de très concret qui me convenait parfaitement. J’étais enfin confrontée à l’espace, à la lumière, à la matière… et je n’avais plus qu’à les traduire au plus juste de mon émotion. Par la suite, je me suis confrontée aux questions métaphysiques auxquelles on n’échappe pas. Que dire et comment ? Quel geste peut traduire au mieux l’intériorité ?
Les élèves jouissaient vraiment d’une certaine liberté dans leurs choix artistiques, ce que j’appréciais vivement.

À quel moment et dans quelles circonstances as-tu choisi la gravure ?

J’ai réalisé ma première gravure aux Beaux-arts en fin de cursus et j’ai vraiment aimé ce geste de graver, à la fois dur et délicat sur le métal. Ce fut une vraie exaltation ! Durant la suite de ma formation à l’école Penninghen, je n’ai pas gravé pendant 2 ans. En revanche, mon attirance pour le dessin s’est affirmée progressivement en prenant le pas sur la peinture.
À l’issue de cette période qui fut très chaotique autant dans ma vie que dans mon travail, j’ai choisi la gravure. Elle pouvait répondre à cette ambivalence intérieure, d’une violence contenue et d’une grande fragilité. Le cuivre est devenu ce fidèle réceptacle de toute mon émotivité.

Mais pourquoi es-tu devenue également imprimeur en taille-douce ?

Il est nécessaire de préciser que deux métiers cohabitent dans l’estampe, ceux de graveur et d’imprimeur. Constatant que je pouvais améliorer la qualité des impressions, j’ai décidé de consacrer une année de formation au métier d’imprimeur. Je suis donc devenue «ouvrier tailledoucier» dans l’atelier Tanguy Garric à Paris dans le 13ème. J’ai ainsi découvert une diversité de techniques et des approches nouvelles de la gravure. J’ai pu imprimer l’œuvre d’artistes tels que Jean Cortot, Gérard Garouste ou Ernest-Pignon Ernest qui venaient parfois à l’atelier superviser le démarrage de l’impression de leurs gravures.

Comment le thème du végétal s’est-il imposé à toi ?

Cette thématique a toujours été présente dans mon travail, même si au début la présence de personnages et d’animaux était prédominante. Je suis attirée par la mythologie où la magie et la féerie de la nature sont présentes.
Avec le temps, mon travail s’est épuré. La représentation onirique s’est faite moins éloquente.
Le végétal est alors devenu mon principal sujet. Le surnaturel y semblait déjà inscrit et une symbolique plus intime et secrète se donnait à voir.
Ma plongée dans le monde végétal a dévoilé un autre univers à la frontière de l’étrange. Une feuille d’arbre, une branche… pouvait contenir cette part de rêve et cette ambiguïté du réel m’exaltait.

Comment as-tu investi le territoire souterrain du végétal et de ses éléments constitutifs que sont les feuilles, les lichens, les écorces…?

Pour travailler sur le végétal, j’ai commencé par récolter des feuilles. Je les avais rassemblées et alignées sur une étagère comme des petits personnages. Selon la lumière du jour leur apparence changeait. Elles devenaient pour moi de véritables présences. Je les dessinais en considérant chacune d’elle comme des entités indépendantes.
J’ai singularisé chacun de ces objets végétaux en révélant la force de leur présence. Je renouais avec les jeux de l’enfance où de tout petits «trésors» de nature deviennent vivants. Enfant, je me racontais des histoires imaginaires en jouant avec les feuilles, les écorces… J’ai compris que ces histoires imaginées dans l’enfance m’avaient conduit à aimer les récits mythologiques.

Où t’a conduite ton investigation du monde végétal ?

Comment traduire dans la gravure les visions oniriques ressenties devant ces «personnages animés », feuilles enroulées ou lichens ? En dessinant, j’ai essayé de traduire ce que je ressentais le plus intimement. Ce fut une sorte de quête intérieure. Plus je m’attachais aux petits rien de la nature, plus je creusais un sillon dans ma propre obscurité. Les racines, les circonvolutions de l’écorce me montraient ma propre part d’ombre.

Je remarque que ton travail d’aujourd’hui avec tes gravures récentes sur les arbres, explore la partie aérienne des végétaux. Peux-tu expliquer ce passage du souterrain à la lumière ?

De cette exploration du monde sous-terrain, une question autour de la gravure s’est posée. Les noirs imprimés étaient devenus très denses, il y avait une saturation des griffures de la pointe sèche. Que faire surgir de ce noir ? D’autres noirs ! J’ai alors repris la gravure aux acides et j’ai réalisé des séries d’eaux-fortes sur le thème des « terres de labours » noires de pluie et des forêts obscurcies par le crépuscule. Je remontais à la surface en quittant peu à peu cette repré- sentation nocturne.
Aujourd’hui, l’obscurité tend à s’effacer des gravures et la ramure des arbres est privilégiée. C’est un retour vers l’extérieur du végétal pour tenter de capter la lumière et son miroitement dans les branches. À ce jour, la recherche plastique est en cours pour traduire ces nouvelles émotions.

En tant que profane je me pose une question : sais-tu ce que rendront tes gravures au moment où tu graves tes plaques de cuivres ou de linoléums ?

Oui, sur le plan technique. Dès le moment où je grave, j’ai déjà une idée des contrastes de la gravure. Pour la pointe sèche, si j’appuie très fort j’ai des noirs, mais quand le geste est doux les gris affleurent. Ainsi, tu maîtrises globalement le résultat que tu veux obtenir.
En plus, tu peux ajouter des matières ou revenir en arrière en grattant avec des outils spécifiques pour éclaircir et revenir vers la lumière.
Par exemple, pour cette gravure «cœur d’écorce», j’ai passé trois ans de travail pour arriver à ce que je ressentais. J’ai effacé et gravé de nombreuses fois avant de parvenir à l’image finale.

Nous avons parcouru 25 ans de ton travail de graveur sans évoquer tes sculptures ni tes livres d’artiste. Comment s’articule ton œuvre entre ces arts qui appréhendent l’espace, la forme, les matières, les mots ?

Ils se complètent tous les trois.
J’ai pratiqué la sculpture avant de graver. J’ai modelé la terre dès l’âge de 17 ans mais je l’ai abandonnée assez vite pour aller vers le métal soudé. Je retrouve dans la soudure cette résistance du matériau qui me plaît tant en gravure. Je perçois l’approche du volume comme une ligne projetée dans l’espace qui se déploie, se déroule… L’influence de la gravure agit directement sur ce travail. La ligne gravée sort du cadre de la plaque pour prendre forme dans l’espace.
Quand la représentation humaine et animalière a quitté la gravure, elle s’est déplacée vers la sculpture avant que l’arbre ne devienne à son tour sculpture en métal.

Pour le livre d’artiste, il s’agit d’un monde entre-deux. J’ai tendance à aborder le livre comme un objet plutôt à voir qu’à lire. Le livre surgit de la matière même du végétal. L’écorce n’est plus figurée, elle est un élément constitutif, un point de départ à une nouvelle narration. Les mots sont des contrepoints à une mise en espace de la lecture.

Face à ton œuvre en cours, peux-tu dire ce qui sous-tend ton travail d’artiste ?

Quand je travaille, je ne sais pas toujours ce qui sous-tend ce désir de faire. Le besoin d’agir est tellement fort parfois qu’il me porte.
Quand une œuvre est finie, elle a sa vie propre. Je la donne à voir lors des expositions et à chacun de la capter avec ce qu’il est dans sa singularité.
Et j’apprécie cette résonance possible entre deux sensibilités, entre deux perceptions différentes, la mienne et la personne qui regarde.

Le matériau du végétal

Des écorces, des feuilles, des branchages ou des lichens nous apparaissent comme sous l’objectif d’un microscope nous ouvrant les portes de l’univers végétal. Les gravures de Valérie Loiseau pénètrent le cœur de la matière. Matière de feuilles en décomposition, textures fibreuses d’écorces, amalgames inouïs de terres sombres ou lichens aux apparences sculpturales happent notre imaginaire.

Des traits noirs aux blancs mêlés et des circonvolutions de lignes nous dévoilent des aspects méconnus des arbres et des branches, des feuilles et des lichens. Nous les redécouvrons soudain autres, en des formes ondulées, des nœuds irisés dans des couleurs alliant des noirs intenses et des gris tirant vers la lumière. Ces territoires de matières invisibles à l’œil nu, Valérie Loiseau les révèle comme autant de paysages mystérieux d’un monde à investir de notre questionnement.

Matières en proie à la décomposition, couches sombres de feuilles accumulées dans les saisons, pourriture noble liée aux renaissances, ce terreau est également celui d’un terroir intérieur qui interroge l’invisible du monde. Un monde microscopique qui se décline aussi dans des ramifications bronchiques et des rhizomes innervés qui décrivent parfois des cartographies merveilleuses, des estuaires de pays inconnus ou des rias investissant des terres encore vierges de nos imaginations. Telle cette gravure revenant par sa forme à la source de l’arbre qui l’initia.

Entre ciel et terre l’arbre est au centre du questionnement de l’artiste. Il lui fournit l’essentiel du matériau naturel qu’elle investit.

Qu’il se manifeste sous l’aspect d’une sculpture érigée dans un fin feuillard de cuivre, laissant deviner ses volumes intérieurs aux désirs de nos yeux ou dans ces gravures parfois déclinées en polyptyques, l’arbre est élevé en symbole premier de la nature. Arbres feuillus ou nus de l’hiver. Arbres aux bouquets de branchages inclinés s’élevant vers la lumière ou encore simples troncs émondés, les arbres exposent sur les gravures leurs convulsions de branches et leurs nœuds contrariant une ascension vers le ciel. Silhouettes érigées verticalement se découpant dans l’horizon brumeux en des monochromes noirs, bruns ou sépia, les arbres dans les gravures sont tels des portraits dont nous aurions oublié l’impérative présence dans la proximité de la figure humaine. Valérie Loiseau nous le rappelle dans son œuvre.