LE BOISSELIER Hubert

incertain regard – N°14 – Mai 2017

Un soir

un soir j’entrerai par la fenêtre de ta chambre – j’emprunterai les voies que les nuages inventent pour ceux qui respirent au rythme d’une phrase sans fin – un soir j’irai jusqu’à toi sans le détour du monde réel et nous pourrons partager la vérité des paroles qui se murmurent dans l’expiration des premiers baisers

ce soir-là le tonnerre roulera des colères anciennes pour recouvrir enfin le petit monde de mes douleurs – je tremblerai sûrement de tous mes membres d’avoir à devenir moins triste – de devoir te faire rire – et d’avoir à bâtir un monde en dehors de moi

nous partirons à pied nous partirons alors – voici que résonnent les murmures étonnés – que se tendent les regards de ceux que nous quitterons – dont nous sommes loin déjà – et voilà qu’ils sont plus loin encore à parler le langage des pierres alors que nous apprenons celui de la fuite et du vent

nous transpirerons la sueur des chandelles qui veillent sur les nuits sans fin – nous sentirons la brûlure descendre vers le centre de notre corps – nous plongerons les mains dans les cendres de ce qui ne revient pas – et partagerons la pleine lune éblouissante et ronde pour apprendre la langue de ceux qui ne reviendront pas – nouvelle lune éblouissante et ronde dans les cendres brumeuses du matin

notre peau durcira sous les pluies aussi glacées que le gel des matins d’avril – mes mains seront rugueuses oui mais tu trouveras qu’elles tournent mieux que toute autre les pages blanches et noires de tes seins ouverts – qu’elles inscrivent plus patiemment sur la peau et les os le plaisir d’être deux à soupirer ensemble comme soupirent les flambeaux déployés des batailles

puis il faudra disparaître un jour se fondre avec la terre sous nos pieds la poussière qui fait naître les arbres sous la lumière – il faudra que je te quitte – ce sera un matin à l’aube après une nuit à parcourir les crêtes de notre sommeil – entre le rêve et l’éveil nous aurons vu s’accomplir le partage puis la réunion de l’un avec l’autre – entre le jour et la nuit – entre toi et moi alors il n’existera plus rien que le souffle sans corps du vent