LAINE Timothée

incertain regard – N° 17 – Hiver 2018

Carte blanche à Hervé Martin

Timothée Laine

J’appelle cela la joie

D’abord le corps – tout le corps –
déplacé par le souffle

Le souffle du monde
Le souffle de l’homme

Lorsque les deux souffles
s’effleurent s’embrassent

Alors la voix le grain de la voix
puis la parole la parole multipliée

Celle du commencement
et celles de demain

Le son et le sens
ensemble dans l’instant

La promesse réalisée
du visage.

 

Après avoir entendu pendant une semaine des paroles de personnes détenues,
après qu’elles ont écrit et lu leurs textes,
j’ai ressenti le besoin de leur adresser ces six strophes fragiles…

Vibre
Ami
Vibre

Si le trop lointain de la nuit
Te surprend entre les murs
Multitude trous d’épingles

Maillent la lumière
Avec l’espoir – filet
Modulant l’obscur

Il y a de la force
Dans la main qui trace
Le chant et pince la corde

Tu as choisi
L’effort de clarté
Vibre vibre vibre

La parole fraternelle
Espère en toi en nous
C’est la vie qui nous prononce.

 

Classe de collège (Ivry-sur-Seine)

Sans la Biennale Internationale des Poètes en Val de Marne,
il n’y aurait pas eu de rencontre avec la classe de SEGPA
du collège Georges Politzer.

L’énergie les nerfs ci-gît le
Masque ôte l’alarme le cri
Le rire la phrase au dessus
De la tête les tables perdue
La classe le cœur la classe

Relance la larme l’éclair
Elle sait fixe forme elle
Le bruit son jeu vite sens
Partie face du rythme sur
La page pile ses barres Ô

Rapt la pluie du visage si
La peur juste injuste son
Interroge jeu sa vérité du
Stylo poudre or elle veut
Mémoire de vie dessous

Ta course tes pas cadeaux
De ci de là folle joie plomb
Muscle souffle esprit coupe
La phrase le vers tu comptes
Quand pulse tableau du pied

Passion mot défi ne te tais
Point césure blesse blessure
Électrique orgueil ta soif
De mordre la fièvre tu bats
Syncope avec paroles leurs

Le rythme prend
La force
Du poème. Le rythme
De la Classe –
Poème.

 

Il aura fallu apprendre
que le visage parle
lorsque les lèvres cèdent
au silence
et les yeux
aux scories injustes
du brouillard
lorsque tout grince
à l’intérieur du langage
à l’intérieur des oreilles
et que le corps bégaie ses articulations
et que le geste s’aggrave

et la gerçure dans les quinconces de la mémoire.

Il aura fallu apprendre
que le visage parle une langue étrangère
la sienne
qu’il rayonne de sa seule grammaire
traces à hauteur d’horizon
et que nous pouvons tous comprendre
la vie
lorsque réunis autour d’une table / d’une page
le regard perce l’icône

et nos mains serrent l’insaisissable.

C’est pourquoi je suis ici
je suis venu sans le savoir
apprendre
ma propre langue étrangère
sur vos visages
sur les visages du grand âge
sur les visages d’enfants et d’infirmières
visages si proches de l’exil
qu’au milieu du gué, entre
le mot joie et la souffrance
je comprends enfin
qu’il me faut
apprendre
encore
du visage.

 

Septembre 2018

Paris

Le corps debout parle
Face à l’écume bruyante
De la ville et de la pierre

Le souffle des auteurs
Vivants ou morts
Réanime l’horizon

L’architecture aussi
Erre entre l’éternité et
La solitude du présent

Les mots palpent
Le socle inespéré
Des lumières.