incertain regard – N° 11 – Novembre 2015 : Ici, sous tant de ciels
(poème)
feuilles
diminuées de ce matin
mouillé
dans le jardin de la Sous-préfecture
un oignon
rouge dans la main
Il passe
amateur des jardins Il ignore tout du Père
Camelli de l’émotion qui le saisit à la vue
de la fleur du camélia quand celle-ci avait encore
un autre nom – c’était quelque part dans l’orient
extrême sur la route du thé – ce jour là sans doute
qu’il en remercia – à une majuscule près
ce n’était pas si bête – simplement
le Ciel
mais parce que cela fait longtemps
qu’il n’a plus écrit de Poème Il est content
de ce début d’averse qui recolore
autour de lui les choses simples
autrement
patiné d’ombres l’espace entre le vide
et sa pensée s’emplit des tuiles avivées du toit
aussi du bleu qui reste sous
le ciel
qu’on ne voit pas
Il
regarde aussi
se former lentement
le mot
vivre
autour d’un
autre mot
plus ferme qu’il serrera
entre ses mains
quand il prendra des nouvelles du monde
plus tard
par la Télévision
en attendant
Il n’emporte avec lui que
des lambeaux d’espace qu’il a pu détacher
de certains mots
vieillir manger dormir
les ustensiles de sa vie
nuages pensées présences Il prend le monde
au ralenti sans trop savoir ce qu’est le monde une forme de beauté menteuse peut-être
à force d’en parler
quand même
Il essaie de mieux voir son chemin
pas avec la lampe qui déforme sa poche avec
espoir et même les jours ordinaires quand après
la fatigue de savoir que rien ne lui a été donné
spécialement à vivre / il s’enfonce
dans la lenteur humaine
bien qu’aujourd’hui à force d’y penser
Il sente
qu’elles empliraient presque sa bouche
avec la douceur
de l’eau
et jusqu’à la morsure du sel
qui sèche aussitôt
sur ses lèvres
les choses lentes
dans le ciel
et ce dimanche des Rameaux
que ne marquera cette fois aucune entrée
solennelle Il pense qu’il ne sera bientôt
qu’un souvenir : qu’aura-t-il façonné en lui aucun
hymne aucune ode à peine une élégie mais juste
la pensée qu’il lui faudrait demeurer ici plus haut
que vivre / simplement attentif
parmi tout ce qui renverse
FACE
30 décembre 2003
irréversiblement
au bout
de cette année
tellement courte d’oxygène
pour beaucoup
qu’ils préféreraient revenir d’une villégiature
même de 437 jours
à bord d’une station Mir
tu t’efforces comme un poète au bord
de la mer noire
à te regarder comme un autre
exilé bousculé
de voir se perdre parmi les mouettes les figures
d’amour
de science et de paix
un peu moins triste bêtement
de marcher comme aujourd’hui au ralenti
sur des marges
imaginant qu’elles pourraient revenir
comme ça
d’un seul geste ébauché
leur souffle
escaladant
partout sur la terre
la grande arche
vide
des poumons
Ces textes sont d’abord parus sur www.incertainregard.fr, site créé par le poète Hervé Martin en 2002. Ce site contient les écrits parus dans la revue de 1997 à 2015.
La municipalité devient l’éditrice d’incertain regard en 2015, avec une nouvelle adresse : www.incertainregard.net
Les textes ont été reproduits à l’identique.
encore un jour sans Rimbaud
1
j’ai fait le plein de fête triste à la table des grands
sensibles.
ou qui avaient de belles mains
même attentives
carnassières.
dehors
mais c’était dur de s’en sortir
je me suis enfoncé dans mes poches.
comme j’ai pu.
*
dehors
c’était un grand colombarium de phrases mortes dans des
livres.
des voix passaient en étalage
affairées d’autre chose.
l’haleine un peu salie d’aliments maigres.
2
parler.
il a fallu.
de quelque chose.
moi
j’ai dit les oiseaux.
manière de cacher mes bras d’épouvantail.
les corbeaux ont bien ri.
*
mais l’absence d’humour du rat finalement pendu par les
pattes arrière à côté de la chaise du président –
délicatesse en fait plutôt vaine – m’a ému.
sans doute lui aussi rongeait son frein.
ou bien imaginait le pire.
*
les autres n’ont rien vu.
heureusement.
des bouches mal trouées.
j’aurais pu voir un peu leur âme au fond.
un bien grand mot.
puis un peu gênant
l’espionnage.
3
vrai.
je dois faire un peu peur.
j’arrive à tant de douceur rêche.
*
bien du mal à t’aimer.
à faire un peu semblant quand même.
le gang des belles âmes
féroces
attroupées
des amicales écorcheuses.
*
cette élégance.
ces parfums.
ces cuirs.
toute l’épicerie soudain de leurs sourires.
vraiment beaucoup d’amour dans ces distributeurs.
*
j’évite
de rester coller à la machine
d’être avalé par la fente.
d’en ressortir
à chaque fois
en petits jets d’un jus tiédasse.
*
tout sucre.
ses petits yeux comme un bonbon qui t’entortillent.
ses grands mots ameutés d’un beau désintérêt vorace.
*
à l’air
je reprends goût quand même
ou forme.
la vie me remet bout à bout.
grammaire approximative.
4
à vif.
tout un fracas de rues t’observe.
un regard étréci
qui fouille aussi là-bas
au fond des encoignures.
*
épis des yeux.
chaque porte.
volets.
une attention ballante
puis d’un seul coup
mal dégrossi
l’éclair de faux
qui te moissonne.
5
aujourd’hui
encore une journée
à serrer sans savoir des mains tapis d’indics.
ma candeur autrefois.
puis ce qu’on fait de moi les compagnons de chambre.
ces javerts fourbes.
*
à coups.
à coups de plume et de gosier.
à petits coups colères.
j’essaie.
on m’a bien appris la douceur
la complaisance
mais redresser l’échine
et urtiquer
se démêler du paysage
pas ça.
6
la grosse tête d’une idée parfois
fait son apparition.
bien fait ! ! !
ne pas t’accoutumer à ce troupeau qui te méprise
de faux humains décapités.
*
je ne sais rien.
je n’ai pas assez de dégoût
de répugnance.
trop de bons sentiments encore
d’un jus marron qui dégouline.
7
au matin
je déroule ma peau
l’agite un peu dans la lumière.
vite.
après j’entre dans le sac.
je n’examine rien.
n’espère rien.
c’est faux.
je me protège.
8
oui difficile.
oh ! oui c’est difficile.
s’en tirer comme ça quand on a dérangé les quilles.
se séparer des autres.
puis débarquer.
chez soi.
même plus par surprise.
9
grande cristallerie des mots .
tintement des idées.
qu’on rince chaque soir en pleurant dans sa tête.
le silence parfois comme un gros torchon sale.
tissus.
vieux draps.
coton.
papier.
ma tête.
à trop frotter dessus
c’est la fatigue qui s’abîme.
c’est toujours elle.
au fond.
***
Ces textes sont d’abord parus sur www.incertainregard.fr, site créé par le poète Hervé Martin en 2002. Ce site contient les écrits parus dans la revue de 1997 à 2015.
La municipalité devient l’éditrice d’incertain regard en 2015, avec une nouvelle adresse : www.incertainregard.net
Les textes ont été reproduits à l’identique.