BIGER Françoise

incertain regard – N°15 – Novembre 2017

Carte blanche à Hervé Martin

Françoise Biger

Manchester
(extraits)

Manchester : h moins 4

La fratrie entière
Ma mère
Dans le quasi silence
Du box presque paille
Jaune nous pleurons
Percées de larmes
À tour de rôle
Et pas assez de chaises
Pour tout le monde.

Manchester : j plus 1

Autre couleur autres murs
Revêtement similaire
Toile gaufrée à peindre
C’est bien pratique
Vert d’eau
Tout le monde
S’est accordé à dire :
« comme il est beau ! ».

Manchester : j plus 1 et demi

Sous la prestance de la pose
Et du costume mortuaire
Je reconnais d’emblée
L’ancienne cage thoracique
Du coureur de fond qu’il fut.

Manchester : j plus 182

De derrière une haie de jardin clos
Me tombe au coin de l’oreille
Une flopée sifflée de trémolos les mêmes
Dont mon père
Ornait ses mélodies de potager
Ils allument volées d’épingles tournoyantes
Dans un endroit du corps impossible
À définir
Me coupant souffle
Autant que jambes.

Manchester : j plus 4

Suspendus aux mains
souffles écarquillés
yeux bouches bées
du frère gauche
à l’instant crucial du passage de l’urne
des officiantes mains
aux siennes vers l’alvéole
boîte enfin dans la boîte
les respirations peuvent reprendre leur cours.

Manchester : même jour

Cercueil scellé perpendiculairement
à l’axe vertical de la foule
il brise les lignes
pour mieux révéler
l’étendue de la disparition.

Manchester : j plus 4

Les pâtes cuisent les légumes
pour la soupe
tout est prêt
la faim là quand même
il a fait soleil
sous les fleurs
et les fleurs soulagement
nous allons passer à table.

Manchester : m moins 7

Tout de même ce chat
à travers la fenêtre dans le champ
depuis tôt matin à l’affût
d’une taupe à l’heure du départ
fait semblant d’égayer l’instant
baisers lourds avec ma valise
me retournant les épaules
de mon père secouées
sur ses béquilles.

Manchester : j plus 1

Pourtant faim
du repas bien préparé
pour ce premier midi d’après
mangé en paroles famille
et parenthèses de rires aussi
pour se nourrir
les uns des autres.