Jean Perguet, Journal du jeudi 4 avril 2019
Mort d’un jardinier de Lucien Suel, Éditions de la Table ronde, 2008.
Roman ?
Plus poème que roman, où Lucien Suel, lui-même jardinier passionné, admirateur de la beat génération, amateur de free jazz et de musique punk, lecteur, slameur de poésie sonore, fait effectivement sonner sa prose, en 23 chapitres-phrases-longues, 23 respirations, « tu respires encore mais tes narines se pincent, tes poumons sont à l’étroit dans ta poitrine, […], tu distingues néanmoins une odeur de chien mouillé s’ébrouant sous la pluie d’orage, elle se mêle à celle des plumes de poule trempées dans l’eau bouillante et dans lesquelles les pucerons morts ressemblent à des raisins de Corinthe au milieu du pudding ou du gâteau de riz, les plumes collent à tes doigts… », 23 odes qui nous guident à travers un jardin, qui nous chantent les gestes du jardinier, puis l’attaque venue, font dérouler à vive allure les souvenirs qui s’engouffrent dans l’éblouissant tunnel dont témoignent les survivants. Éblouissant en effet. Et je n’ai pas hésité, lors d’un week-end en pleine campagne, repas familial près de la cheminée avec vue plongeante sur le Cantal, à lire à mes adolescents de neveux, sidérés, la recette d’une goûteuse carbonade de bœuf et la cuisson légère et dorée des frites qui l’accompagnent, d’un Lucien Suel soudain cuisinier ; un comment te donner « la lecture à la bouche ».
Et puis, cette édition encourage les apprentis auteurs : c’est le témoignage d’un jeune retraité qui, à 60 ans, envoie un inclassable manuscrit de prose poétique, inspirée, tantôt vaporeuse, tantôt concrète, à La Table ronde… et sera publié.