Jean Perguet, Journal du jeudi 31 janvier 2019
Mélancolies d’après Anton Tchekhov, mis en scène par Julie Deliquet et le Collectif In Vitro, au Théâtre de Sartrouville.
« Le collectif In Vitro travaille énormément l’improvisation », dit la plaquette. C’est surprenant puisque tout semble léché, parfait et que j‘imagine mal pouvoir improviser à partir de deux textes, deux pièces (Trois sœurs et Ivanov d’Anton Tchekhov), donnant l’impression d’une histoire, un univers, des enchaînements extraits d’une pièce unique. Je suis bluffé par huit acteurs et actrices qui sont leurs personnages, dans une sincérité époustouflante, englués dans une mélancolie (terme qui désignait la dépression) invasive, contagieuse. Je me sens pris à parti et révolté par le personnage de Nicolas (Ivanov) qui semble autant maniaco dépressif que pervers narcissique (j’hésite sur le diagnostic). Je souffre avec tous les autres presque physiquement, touché par Sacha et Théodore, solidaire d’Olympe. La pièce est superbe et éprouvante car de nombreux, trop nombreux êtres chers, proches se bousculent dans ma tête, se fondent dans les personnages de Tchekhov.
Ce soir encore il y a beaucoup de jeunes (des premières et terminales L, option théâtre, du Lycée de Sartrouville) qui partagent avec moi la même interrogation : quelle est la part d’improvisation dans une telle pièce ? Comment à partir de deux œuvres en tricoter une troisième ? Pourquoi ? Voilà les ingrédients d’un passionnant « bord de scène ».
Cela semble simple : de bons acteurs qui s’approprient les deux pièces, puis proposent à Julie Deliquet des scènes, les assemblent, enchaînent les répliques au « feeling » sans dénaturer le texte (sauf le changement des noms des personnages), tricotent et détricotent, font naître leur personnage, tout cela sans changer une seule ligne de Tchekhov, créant une nouvelle pièce surprenante, contemporaine et complémentaire des deux autres.
Et bien sûr, l’invitation à lire les deux originaux et la frustration de ne pas pouvoir se procurer la greffe.
PS : Résonance particulière pour moi aussi car, peu avant, dans ma formation d’animateur, sur le sujet « comment amener des stagiaires à réécrire un texte, tel Échenoz, au-delà de la simple correction, et de comprendre l’apport de la réécriture », nous avions fait l’exercice, à partir de trois textes issus de propositions complémentaires, d’en entrelacer un quatrième. Un très difficile exercice qui avait entraîné plus que des changements ! Et me laisse définitivement admiratif et perplexe.