Jean Perguet, Journal du samedi 9 février 2019
La brisure d’Hélène Lenoir, Éditions de Minuit, 1994.
Si je participe ou anime des ateliers d’écriture, c’est autant pour le plaisir et le risque d’écrire « sous contrainte » — je sais parfaitement que pédagogiquement le mot « contrainte » est à bannir, à remplacer par « proposition », mais personnellement, c’est plutôt l’idée de contrainte qui me galvanise — que pour dénicher des textes ou des livres proposés par l’animateur et surtout par les autres participants.
« Les sports d’hiver », où la forme du récit nous force dans le fil d’une phrase à entrer brutalement dans la tête d’un personnage (elle) puis de sauter dans la pensée de l’autre (lui), crée un pernicieux malaise — l’autre étant (bien avant le phénomène MeToo) un dégoûtant harceleur. C’est le texte qui m’a donné l’envie de lire immédiatement, le soir même — je suis passé chez Gibert en sortant de l’atelier — le recueil de nouvelles La brisure.
Pour découvrir qu’Hélène Lenoir est souvent donnée en exemple comme auteure de « nouvelles instant », ce registre d’histoires fugitives, sans morale, sans chute, où l’on suspend le lecteur dans un état fragile, dubitatif, circonspect.
Et dans ce formidable recueil, j’ai trouvé un délicieux dialogue, ou plutôt demi-dialogue, où l’on écoute une mère au téléphone et l’on devine ce que sont les propos de la fille, un instant universel, trivial, où j’ai ri franchement, comme dans un salutaire (et imposé) exercice d’autodérision (nouvelle : « Les après-midi »), que j’ai immédiatement lu, sans méchanceté aucune, avec beaucoup d’affection, à ma compagne, et l’une de ses belles-filles.