La Beauté

Jean Perguet, Journal du samedi 16 mars 2019

La Beauté : éphéméride poétique pour chanter la vie, anthologie établie par Bruno Doucey, éditions Doucey, 2019.

Des anthologies je ne suis pas friand. Je trouve que dès que le courant passe avec un auteur, au moment où l’on voudrait faire plus connaissance, il faut déjà le quitter. Puis partir à sa conquête par un trop long travail d’approche, commande ou réservation à la bibliothèque, attente, livraison alors que parfois le charme est passé, ce n’aura été qu’un flirt déjà chassé par la lecture suivante. Bref je préfère, sur les recommandations d’un ami (journal, blog ou connaissance) me lancer dans la relation plus durable d’un recueil. À de rares exceptions je cédais à des tentations xénophiles : anthologies de poésies chinoise, japonaise, américaine, africaine… qui me permettent, coup de foudre, de prolonger l’aventure avec un auteur, de savoir parfois attendre la réalité d’une rencontre, d’une lecture publique, probable puisque Paris est une Babel poétique pour celui qui sait en arpenter les librairies et les espaces littéraires.

Cette fois ce fut l’inverse, le dimanche précédent Bruno Doucey présentait l’anthologie réalisée sur le thème du Printemps de la Poésie 2019 : La Beauté.
« La Beauté
Elle est passée
là sous vos yeux
Vous n’avez pas voulu y croire
Elle se cachait
c’était un jeu
enfuie perdue comment savoir »
Sabine Péglion, texte inédit in La Beauté

Huit des poètes1 étaient là (six poétesses et deux poètes, Yvon Le Men et Bruno Doucey lui-même puisque poète et éditeur) pour lire, accompagnés d’un multi-instrumentiste inspiré et illustrés par un peintre (encres fluides et rythmées), un de leurs poèmes et se faire aussi les interprètes des absents. Bruno Doucey avait-il fait un casting ? Assis au premier rang, nous dégustions des lectures riches en expression, en sentiment, en sincérité et parfois aussi dans la modernité contemporaine du rap ou du slam comme, découverte, séduction de la soirée, le texte et les lectures de Katia Bouchoueva.

« Les riches voyagent,
les pauvres migrent.
Mon tigre,
allongez-vous sur le dos
au bord de l’eau.
Vos yeux grêlons ont toutes les raisons du monde
de tout briser dans l’air. »
Katia Bouchoueva, Tigre, texte inédit in La Beauté

Et bien sûr, on feuillette le bel ouvrage, papier charnu, peintures de Robert Lobet, justes interprétations des poèmes. Sous forme d’une éphéméride, jouant de ce que chaque mois peut évoquer, joie, fraîcheur, tristesse, fulgurance, chaleur, naissance ou fin, Bruno Doucey y a regroupé 105 textes de 105 auteurs modernes ou contemporains (je ne peux donner l’adjectif classique à Baudelaire, Apollinaire ou Rimbaud), autant d’hommes que de femmes, qui évoquent la beauté dans ce qu’elle a de plus fort, d’ingénu, cruel, affectueux, manipulateur, réconfortant, possessif, séduisant, à travers les continents, les cultures. Et de ce choix et cette mise en perspective éclairée, j’ai oublié que j’étais en train de lire une anthologie, l’unité de l’ouvrage parlait si bien de la diversité qui drape la beauté échappant à toute règle.

1Bruno Doucey, Murielle Szac, Caroline Boidé, Fabienne Swiatly, Hala Mohammad, Yvon Le Men, Katia Bouchoueva, Hélène Dorion.