ROLIN Jean

incertain regard – N°22 – Eté 2023 : Les papillons du bagne : texte inédit

Jean Rolin a proposé un extrait inédit pour ce numéro 22 d’incertain regard.
Le livre paraîtra en janvier 2024 aux éditions P.O.L sous le titre Les papillons du bagne. Le sujet de ce livre est l’histoire des rapports que le bagne de Guyane a longtemps entretenus avec la chasse aux papillons, et plus particulièrement au Morpho.

Lors de mon second passage par Toulon, à la mi-février, il pleuvait avec une telle violence, une telle obstination, qu’il y avait de quoi faire le désespoir des marins, tous grades confondus, qui après plusieurs années à Brest venaient enfin d’obtenir leur affectation dans le Midi. Depuis le quai Cronstadt, dont les dalles glissantes luisaient et crépitaient sous l’averse, c’est à peine si l’on distinguait, dans l’enceinte de l’Arsenal, la silhouette estompée et sans grâce d’un porte-hélicoptères vu de dos.

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Dans ces conditions, le service des vedettes desservant différents points de la rade s’étant interrompu et la pluie redoublant, j’ai dû me résoudre, pour rejoindre Le Mourillon, à emprunter le bus 23, dont le trajet, avant de s’engager dans l’avenue Cuneo, suit successivement deux artères, l’avenue de l’Infanterie de marine puis l’avenue des Tirailleurs sénégalais, également rectilignes, et également bordées, du côté droit, par les longs murs aveugles d’installations militaires. Arrivé au Mourillon, toujours sous une pluie battante, je constatai que l’hôtel dans lequel j’avais réservé pour la nuit était en réalité une chambre chez des particuliers, et ces derniers ne m’ayant pas plu, je ressortis aussitôt pour trouver refuge dans le bistro le plus proche. Des ouvriers municipaux s’y entretenaient, à mots couverts, d’une affaire criminelle de gravité moyenne impliquant apparemment l’un des leurs. Puis la pluie cessa, soudainement, le soleil revint, éclairant les gerbes d’écume que la mer faisait jaillir à la pointe du cap Brun, et à l’opposé, dans l’anse de Saint-Mandrier, le radôme couronnant une frégate déclassée, le Duquesne, qui désormais fait office de brise-lames devant une école de plongée de la marine nationale.

À la nuit tombée, toujours dans le but de me tenir le plus possible à l’écart de cette chambre louée par erreur chez des particuliers, je marchai quelque temps au milieu d’une avenue qui me parut à la fois interminable et démesurément large, compte tenu de ce qu’aucun véhicule, non plus qu’aucun piéton, ne l’empruntait, circonstances qui lui conféraient le caractère d’une avenue rêvée plutôt que d’une avenue réelle, jusqu’à ce qu’elle prît fin, en cul-de-sac, tout aussi étrangement qu’elle s’était comportée jusque-là, devant l’entrée d’un parc où l’on apercevait d’un côté, érigé sur un socle et comme empaillé, le célèbre bathyscaphe jaune et brun du professeur Piccard, et non loin de là, sa silhouette évoquant celle d’un kiosque de submersible, un monument dédié « à la mémoire des sous-mariniers morts pour la France ou en service commandé» (quelle que soit la différence entre ces deux façons de mourir), avec une liste de ces derniers que l’obscurité, à distance, rendait malheureusement illisible.

incertain regard – N°22 – Eté 2023 : Entretien avec Jean Rolin

Entretien réalisé par Pierre Benetti, présenté par Catherine Champolion

La rencontre littéraire avec Jean Rolin s’écoute ici

En suivant le lien ci-dessus vous trouverez un entretien avec Jean Rolin réalisé par Pierre Benetti. Pierre Benetti est directeur éditorial de la revue En attendant Nadeau. Critique littéraire, journaliste, il est entré en écriture en lisant les livres de Jean Rolin.
La captation sonore de cet entretien a été réalisée à la Bibliothèque Multimédia Paul Eluard d’Achères (78) durant la soirée du 19 avril 2023.
Depuis presque trente ans, la bibliothèque organise des rencontres entre des écrivains et l’assemblée de ses lecteurs. Les enregistrements peuvent être empruntés.

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Jean Rolin pourrait être qualifié d’écrivain arpenteur plus que d’écrivain flâneur au vu de l’énergie mise à analyser, évaluer, mettre en perspective, accueillir la complexité des mondes qu’il traverse depuis plus de cinquante ans. Auteur d’une œuvre importante dont vous trouverez la bibliographie ci-après, il est publié par plusieurs maisons d’édition et plus particulièrement par P.O.L depuis une vingtaine d’années. Ses articles et reportages, parus dans différentes revues et grands quotidiens nationaux, ont été recensés dans le livre L’homme qui a vu l’ours pour la période 1980-2005.

« Je suis venu au monde à Dinard, dans le cours de l’année 1953, pendant la projection d’un film d’actualités – celles-ci légèrement différées – illustrant le couronnement de la reine d’Angleterre. Par un phénomène extrêmement rare, et que je ne m’efforcerai pas d’éclaircir, je suis né de ma grand-mère (ma mère qui vivait alors au Congo, étant dans l’impossibilité de me donner le jour à Dinard), et âgé déjà de plusieurs années : peut-être trois ou quatre, j’en ai perdu le compte, et d’ailleurs je n’attache personnellement aucune importance à ces détails. »
Dinard, essai d’autobiographie immobilière, La Table ronde, 2012