BROCHARD Daniel

incertain regard – N°21 – Eté 2022

Carte blanche à Hervé Martin

Daniel Brochard

La lanterne inachevée
Extraits

Regarde ce miroir. Je suis de l’autre côté. Torpeur des jours où s’efface l’éternité. La nuit gravée sous tes pas. Lueur de la chandelle dans l’accalmie d’un songe. Cristal sans un reflet. Veillée nocturne. Voix de fantôme. Le vent sans arrêt. Passage au sentier de pleine lune. Et à l’infini des lumières de néons. Désobligeance poussée au hasard des rencontres, ivresse sans fin. Y a-t-il plus loin un canal pour que tu laisses pencher vers toi les roseaux ? Chemin sans retour hanté par un cri dans le temps. Désertion pour tous les horizons. Faux pas attribués à la désespérance, au bruit du train qui siffle de l’autre côté du lagon. Paroles murmurées dans le vent par des insectes rampants. Il n’y aura jamais plus belle éternité aux portes de l’horizon.

***

La cafetière tout près de la barrière du champ d’à côté a vu rôder sous la pleine lune le drapeau noir de la correspondance.

Le facteur, c’est le cochon mécanique qui vient en ruminant une moutarde incompréhensible.

Le décor est planté. Je remets le tableau à l’envers.

La cafetière dit : « Je déteste le café ». La barrière est entrouverte et semble bâiller. La lune s’est trompée en mettant un nez rouge. Quant au drapeau, il n’a jamais été aussi blanc.

Pour ainsi dire tout va de travers.

Le facteur, c’est un courrier blanc par terre qui pleure, blessé. Quant à la moutarde, elle seule fait tousser la lune.

Le décor est planté. Je déchire le tableau.

***

Il y aura, au bout, trois étoiles au-dessus des toits d’ardoises. Un balcon tenu par un fil. Et comment va la vie ? Il y a bien autre chose à côté.

Un miroir avale des ombres. Passage liquide vers l’au-delà qui est un ailleurs en mouvance. Faire un pas c’est tomber dans l’envers du monde, en coulisses. C’est crier d’une voix qui retentit.

Et je me dis : je crie mais personne n’entend. Le bruit de l’océan couvre mes paroles brisées comme du verre sur les rochers, et que certains pêchent encore à la ligne.

***

Je suis passé, tout à l’heure, près d’un banc où deux hommes étaient assis, dont l’un portait un bouquet de fleurs. Un ange blanc s’envolait en poussant des cris de cygne. Près d’un pont, jouaient des enfants sous surveillance maternelle. Plus loin, les arbres hurlaient dans le bruissement du vent. Un peu comme le théâtre à quelques allées de là. Je suis repassé devant le banc. Il n’y avait plus personne.