incertain regard – N°13 – Novembre 2016
c’est comme je vous vois dans la ville en travail
vous qui déplacez le temps des particules
de temps des débris de mémoire des éclats
de cailloux précieux dans les cours des usines
quelques bribes de chansons à bouche cousue
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•
si je vous dis le cœur le tapage qu’il fait
dans le torse qui vous vague tout le long de l’âme
si je vous dis l’aube celle qui sort en peignoir
sifflant des nuages plein la tête et qui vous
lave les yeux à grande eau dans ses bassines bleues
•
je suis en vous cette fête ces grandes batteries
de moteurs et de cloches ce boucan de rires
dans les matins où l’on entend les poubelles
qu’on traîne sur les trottoirs valse d’étoiles sur
les toits de zinc luisant comme neige au soleil
•
nous avons douleur et joie mêlées donné
la vie la folie sans compter ce qu’il reste
d’ombre à nos yeux suivant toujours nos convois
de fêtes de deuils le vol furieux des corneilles
de l’automne et halant nos chariots de pluie
•
le tonnerre lève le camp roulant ses gravats
sur les pentes du fleuve martelant le bitume
des terrasses jusqu’au bas des quartiers de l’ouest
de loin nous arrive la mer charriant ses pluies
sur nos lucarnes et le pur sang du couchant
•
qu’y a-t-il dans vos rêves que je ne sache pas
de caresses inachevées de plaintes étouffées
de sérénades silencieuses à l’eau de fleur
pour vous aussi la nuit se met à nu puis
s’allonge dans vos draps et vous parle à l’oreille
•
si nous sommes évadés dormant du sommeil
des forains logeant dans les marchés couverts
le long des voies ferrées dessinant des fresques
signées à coup d’éclair à l’encre violette
nous n’avons toujours qu’une lettre à écrire
•
vous dites j’ai vu le vent mais c’était seulement
le sillage d’un cygne au milieu de l’étang
vous dites mes silences commencent avant demain
ma vie longtemps avant hier s’est enneigée
et ma sueur vaut bien le sel de l’océan
•
j’ai devant moi de beaux jours comme des rivières
des chansons qu’on se passe sous le manteau
rapiécé des veillées des semblants de vivre
et cette attente dans ma chair comme un soir qui
ne vient pas ou l’écho qui nous fait faux bond
•
est-ce moi toujours cette voix rugueuse cette vapeur
dans le froid ces bourrasques de clarté qui
me chavirent comme dans des portes coulissantes
ce paysage qui me dérape le long des
câbles des caténaires sur une portée sans clef
•
je ne sais pas pour vous mais parfois il me prend
l’envie folle d’aller voir ailleurs si j’y suis
je me perds dans la foule des cafés ces soirs
de jeux dans la rumeur rougeoyante des stades
et je reste en rade au milieu de l’estran
•
vous descendez lentement dans le sommeil
le désir est lourd votre peau a le grain
du limon sous le ressac des reflets d’encre
votre corps est porté au ciel vous laissez
entrer en vous la petite mort des grands soirs
•
je suis là où poussent les herbes des tempêtes
et la mort immobile là où l’air est rare
où les arbres des vergers perdent leur ombre
là où les ronciers lacèrent la peau à vif
et où la douleur ne fait plus de grimaces
•
sans fin ces longs courriers du silence l’attente
avec ses coups de canif dans la chair et
le vent qui s’endort entre les piles des ponts
occupés que nous sommes à combler les blancs
nous vivons dans l’ignorance de l’allégresse
•
le soir étend ses linges humides sur le faîte
des toits ramasse les derniers reliefs d’averse
et nous léchant la pulpe de nos doigts ce
goût de fruit sur la langue quand l’automne avec
ses odeurs de femme pénètre dans la chambre
•
il vous arrive sûrement au sortir des gares
de croiser des inconnus qui vous laissent un
sourire au fond des yeux vous les suivez dans
ces avenues comme des fleuves au lit défait
d’où débordent impatientes les foules de midi
•
la ville fait de nous ce qu’elle veut dessinant
au néon des tatouages sur les épaules
décharnées de la nuit jetant ses habits
de lumières à tous les vents et consignant
sur ses grands boulevards chacune de nos errances
•
vous êtes mon vin mon pain d’olive fraîche la
saveur verte de l’obscurité la sève
de ma mémoire mes avenirs de théâtre
l’eau qui ruisselle douce dans le poème comme entre
les rejets de souches le long du ruisseau
•
parlez-moi la vie sa langue de tous les jours
ses odeurs de viande et d’herbes cette vie qui
comme elle fait son lit se couche et va songeuse
s’ouvrir les veines parlez-moi ce long voyage
que nous sommes et qui finit au bord du monde
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Ces textes sont d’abord parus sur www.incertainregard.fr, site créé par le poète Hervé Martin en 2002. Ce site contient les écrits parus dans la revue de 1997 à 2015.
La municipalité devient l’éditrice d’incertain regard en 2015, avec une nouvelle adresse : www.incertainregard.net
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