incertain regard – N°21 – Eté 2022 : Rencontre avec Yi Myung Rim
par Ronda Lewis
Née en Corée du Sud, à Chang Hang au bord de la rivière Geumgang. L’eau et le ciel nuagé, étoilé l’accompagnaient dans son quotidien. Le contact avec le jeu de lumière ainsi que la musique du vent ont fait grandir à l’intérieur de l’enfant une communion spirituelle avec le monde extérieur. Puis, un jour, Myung Rim a découvert l’âme de l’art dans un livre pour enfants, Le Petit Prince, d’Antoine de Saint-Exupéry, des traits-dessins qui illuminaient les mots de l’histoire, qui racontaient autant mais différemment les réflexions des personnages. Et comme le petit prince et l’aviateur, elle cherchait à comprendre le mouton visible ainsi que le mouton caché loin des yeux, dans les études universitaires et dans ses études artistiques.
Après ses études en sociologie à l’Université d’Ewha à Séoul, Myung Rim arrive en France en 1991 où elle se consacre à l’art à l’Académie de la Grande Chaumière. Son travail sur La Terre donnée lui vaut le premier prix de la ville du Mée-sur-Seine en 1994. Diplômée de l’Ecole des Beaux-Arts de Versailles en 1995, elle se met à la création. Après son exposition au musée Henri Chapu au Mée-sur-Seine en 1997, le Ministère de la Culture lui fournit en 1998 un atelier plus proche de la nature dans la Cité Cézanne à Pontoise, à côté du jardin écologique du Moulin de la Couleuvre. Après plus de 100 expositions en France et à l’international (à Paris, à Séoul, en Chine, au Japon, en Russie, en Espagne, en Belgique et en Italie), Yi Myung Rim m’a accueillie pour la revue incertain regard :
Qu’est-ce que l’art vous apporte ?
L’art est un besoin, une nécessité aussi bien pour les enfants que pour les grands enfants et les adultes. Il nous permet de retrouver ce qui est essentiel.
Cela me permet de rester en contact avec mon environnement. Mon travail est une quête de l’essentiel pour trouver l’essence de l’art, et il se situe entre l’ambiguïté de l’abstraction et la figuration. Quand je vois avec mes yeux, c’est
un regard analytique accroché aux détails, important mais incomplet. L’art me relie à mon cœur, ce qui me relie à l’existence.
Pour peindre, je dois entrer en équilibre avec le physique et l’esprit. D’ailleurs, quand je peins, j’essaie de me vider. J’enlève les a priori ou même l’idée de faire. Je mets de la musique. Je cherche un état de paix et je m’ouvre au moment. Parfois je n’arrive pas à trouver ce vide. Ce n’est pas grave. J’écoute la musique, ou je sors et je me promène. Quand j’arrive à trouver ce vide paisible, l’art devient l’expression même de l’âme.
L’art est une respiration et une communion. En regardant la rivière, on devient la rivière. Il est notre corps et notre sang. Mon travail d’artiste me permet de sentir mon corps et mon âme comme un tout. L’art est pour moi l’expression
même de l’âme. C’est un acte de foi absolu. C’est littéralement marcher sur l’eau.
Nous venons de l’univers et retournons à l’univers. Chaque femme et chaque homme est une poussière d’étoiles. Si l’on comprend que notre corps fait partie de l’univers, il ne peut plus y avoir de guerres.
Est-ce que vous essayez d’avoir un dialogue, en tant qu’artiste, avec le public ?
Quand je regarde les autres artistes, j’aime essayer d’entrer dans leur monde. Chaque tableau, chaque rencontre, est une ouverture nouvelle. Je suis inspirée par les grands artistes, surtout les Impressionnistes, tels que Monet, Cézanne, Manet, Pissarro, Gauguin, parce qu’eux aussi cherchaient à dégager le lien entre le monde autour et l’existence éphémère. Alors, oui, l’art est un véhicule de communication. J’essaie de chercher ce dialogue entre toi et moi, entre la civilisation et la nature, entre le corps et l’âme.
Je médite souvent sur cette idée de l’art. L’art, a-t-il vraiment un sens ? Existera-t-il toujours à la fin du monde ? Est-ce qu’on peut exprimer et communiquer notre âme même après avoir quitté ce monde ? Je dois y croire. Les grands artistes continuent à nous inspirer. J’ai l’impression d’être devant une partie de leur âme quand je regarde leurs œuvres. Quand le spectateur regarde un tableau avec ses yeux et son imagination, le dialogue s’ouvre, et pour moi, c’est ça qui donne un sens à l’art. Chaque regard crée un écho, cette onde qui fait vibrer les cordes qui nous réunissent.
Quand je regarde vos œuvres, le choix de l’encre de Chine et l’eau n’a rien en commun avec les Impressionnistes, pourtant, je vois un mouvement qui me fait penser à La Danse de Matisse, avec un abandon physique, joyeux… sauf que, si je ne me trompe pas, ce sont des ginsengs qui dansent !
Oui, effectivement les ginsengs dansent, mais j’étais plutôt inspirée par Manet et les tutus des danseuses. Oui, il y a de la joie dans le mouvement. Vous savez, le ginseng est un symbole important en Corée et dans toute l’Asie. J’aime le figurer dans mes œuvres parce que c’est le symbole parfait de la connexion entre l’homme et la nature. Nous vivons dans un monde technologique, et c’est facile d’oublier que nous ne sommes pas les maîtres de la nature, que nous faisons partie de la nature. Nous sommes tous construits de la même nature, comme je l’ai déjà dit : la poussière des étoiles.
Cette séparation intellectuelle que nous faisons entre l’homme et l’environnement est trompeuse. Le ginseng par sa forme nous fait entrer dans ce monde où le végétal et l’animal coexistent. Quand j’exprime le geste inhérent au moment, je laisse l’encre couler sur la feuille, j’accompagne le mouvement, le papier boit l’encre… Pensez à ce verbe « boire ». Le papier et moi, nous sommes en tandem, ensemble. C’est très dynamique ! Ce que je trouve passionnant c’est que c’est l’oeil du spectateur qui aperçoit ce mouvement même des mois plus tard. La séparation que nous faisons entre le passé, le présent et l’avenir, encore une fois vient de notre perception. Alors, quand vous voyez ce mouvement que j’ai ressenti au moment de la création, le temps, comme l’espace externe et notre for intérieur, semble se dilater et fait de la place à l’artiste et au spectateur. J’appelle ça « voir avec son cœur ».
Vous ne vous exprimez pas uniquement en un mouvement fluide et arrondi. Il y a aussi des tableaux où l’on voit une approche plus analytique, avec les lignes dentées.
Oui, mais vous remarquerez que même les lignes géométriques s’expriment dans la fluidité du cercle. En fait, ces angles, pour moi, font souvent référence à l’homme et la civilisation. L’escalier est quelque chose de pratique, même si les angles droits sont rares dans la nature.
La civilisation est donc quelque chose de créatif. Par contre, il ne faut pas oublier que l’homme « civilisé » n’est pas séparable de son environnement. Il y a une force et une puissance créative chez l’homme, qui, pour moi, devient encore plus puissant quand ses énergies se tissent avec les énergies universelles. Alors même quand j’exprime davantage la partie « civilisationnelle » de l’homme, il existe dans un environnement naturel.
À la fin de l’entretien, je me suis rendu compte à quel point cette artiste est dotée d’une expression spirituelle et d’un sens de l’humour. C’est difficile de décrire les sourires et les rires lors d’un entretien, mais comme dit le renard dans Le Petit Prince, « on ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux. »