CHASSEFIERE Eric

incertain regard – N°20 – Eté 2021

Carte blanche à Hervé Martin

Eric Chassefière

Lieu qui est celui de la brièveté
De l’effacement dans l’apparition
Tout n’y est que passage des lointains
Rapides fresques d’oiseaux
Pulsation de la couleur des fleurs
Dans la lumière filtrée par l’ombre
Cet ici on le sent vaciller
Toujours proche de s’éteindre
Toujours tenu à fleur de peau
Il est un seuil une fenêtre
Où l’on vient s’accouder
Dos à la pénombre de la maison
Laisser son visage s’effacer
À l’inconnu de cette lumière du dehors
Éclairant un paysage que nous ne voyons pas
Simplement caressons des doigts
Modelons peu à peu à la forme de notre désir
Notre corps de présence dans les choses
Quand tout autour de nous n’est que sensations
Comme dans cette ronce d’autrefois
Où l’enfant s’aménage chemins et gîte
Il faut rester longtemps au seuil
Sous ces grands arbres de vent
Pour doucement reprendre visage
Dans cette lumière tendre d’avant le corps
Remuer les lèvres ouvrir les yeux
Boire à la source de sa présence à cet infini qui s’ouvre là
Sous les portiques des vieux arbres
Du champ qu’illumine le soir dans l’immensité de l’ailleurs
Sentir comme est profonde la couleur des fleurs du laurier
Comme tout ici bat du même désir d’apparaître à la lumière

Le soir approche
Un peu d’air luit aux branches
Sentant la nuit venir
Les fleurs de l’arbre respirent
Partout la présence fuse
L’éclat bref d’un papillon
Se rêvant dans la pénombre
De la guêpe dans le soleil
De l’écureuil filant dans l’herbe
Rien dans ce paysage du retour
Pour se laisser saisir
Tout ici aime à se cacher
Se confondre à l’ombre
Briller avec la lumière
Se replier sous l’invisible de soi
Comme disparaît l’oiseau
D’un basculement de l’aile
Ce monde toujours au seuil
Toujours prêt à s’effacer
Dans le mouvement même d’apparaître
Ce feu qu’on sent couver partout
Sous le lit de la transparence des choses
Ces embrasements rapides
Ces mots comme des pierres
Remontant la nuit du corps
Dont le cri est la seule délivrance
Cette brièveté de l’éclat du poème
Comme l’est une constellation d’oiseaux
Dans l’instant qui précède son éparpillement
Cette vérité de la fulgurance du poème
En miroir de la fugacité des images du soir
Sont présence du seuil
Éternel recommencement du chant
Le soir est ce mouvement retrouvé
Cette coïncidence des désirs

Venu s’asseoir encore
Écouter les fontaines de pénombre
Bruisser dans le vent
Sentir contre sa peau
S’enlacer soleil et nuit
Tenir à bout de lèvres
Toute cette nature en feu de son silence
Tout ce grand rêve de mots noirs
Dont il lui faut faire poème
Pour que s’accomplisse sa mémoire
Qu’aujourd’hui soit achèvement d’hier
Que l’enfant vienne rêver en lui
Et que rêvant il efface l’horizon
Qu’ici soit la berge d’un chemin
Où l’on va le soir
Son ombre pour reflet
Le sourire d’un seuil
La langue d’un oiseau
Dans l’impensé du vent
Faire poème pour briser le silence
Tailler de ses éclats
Le bois tendre des mots
Pour en faire flûtes
Mots qui parlent d’autres mots
Silences d’autres silences
Faire poème pour l’éveil lointain
Le possible de l’écho
La rumeur qui clôt
Le souvenir perdu
Pour la fragilité de l’instant
Qui en fait la beauté
Dans l’effleurement des ombres du temps

La cime blanche du saule
Balance doucement dans le vent du soir
On ne sait cette blancheur des hauts rameaux
Si elle est couleur ou lumière
Cet incendie blanc sur la masse confuse du sous-bois
S’il signe l’intense lumière rasante du soleil
Passant par-dessus le toit
Ou la couleur de neige du feuillage
Dont l’argent délicat s’étage en larges grappes
Dans le bleu sans profondeur du ciel
Cet arbre de la lisière
Là tout contre le trait de lumière chaude de la berge
Que double celui bleu et or de l’eau
Noyé dans un bouquet d’arbres plus sombres
Cet arbre de pure nacre
Dont l’ample voilure ondule dans le vent
On se dit voyant au-dessus du champ sur l’autre rive
Planer un grand oiseau blanc
Au vol s’incurvant vers le lointain
Qu’il est un fanal marquant le seuil
Dont l’oiseau dans sa course vers l’horizon
Se sert comme d’un repère
Pour capter notre regard et l’entrainer au loin
Là-bas dans la clarté chaude de ces fleurs
Que le soir vient caresser de la lumière même de nos rêves

C’est le soir
L’ombre chante
La lumière épouse la fleur
La terre se cache
Dans la profusion de ses créations
L’abeille marche sur les eaux
On pourrait de la main caresser la profondeur
Tant partout la forme ressort dans la couleur
On se tient là sous l’invisible des arbres
Qui est géographie des sonorités
La tourterelle qu’on n’a pas vu se poser psalmodie l’instant
Le feuillage des cigales
Descendant en grappes de la haute rumeur
Vient encadrer le silence de l’étendue
Le vent fait murmure des branches
Caresse la nuque
Recueille souffle de la présence
En chacune des pensées de l’arbre
Là-bas plus loin que la lisière
Le champ brille sous la lumière du soir
D’un éclat à la fois profond et mat
Comme figé dans l’infini morcellement de ses parties
La lumière paraît y monter de la terre
Elle y est pur appel de l’instant
Cette clarté chaude d’après le seuil
On s’y installe par le regard
On se laisse couler en elle
L’habite de toutes les fibres de son désir de corps
L’ailleurs doucement germe dans l’ici
Le soir est ce qui nait de cette distance

Venu éterniser l’instant
Goûter à sa plénitude
Dressé dans la béance du seuil
Sentir contre sa peau
Le souffle du monde qui s’ouvre là
Gorgé de silence et de lumière
Entendre au fond de soi
Dans le chaos du sous-bois abandonné
Chanter à mi-voix le rossignol
Puis une première cigale
Dont bientôt la voix se tait
Cherchant le lieu où la voix s’est tue
Lever les yeux et voir le frêne
Aux membres tortueux
Dérouler sur le ciel ses méandres noirs
Irriguant les bulbes de lumière du feuillage
Sentir comme ce bleu
Magnifiant les volumes
Est à la fois proche et lointain
Comme l’immensité de l’arbre
S’y déploie avec volupté
Comme sur le ciel font ciel
Ces grands arbres mêlant leurs lits
Comme l’oiseau traversant d’un trait la pénombre
Avant de disparaître dans la lumière
Fait feuillage du ciel
Au moment qu’il s’y enfouit
Sentir paupières baissées
Comme nous participons à cette osmose
Comme tout autour de nous fait masque
Comme tout se cache en tout
Le chant des cigales levé
S’abandonner à l’infinité des rythmes
Vivre de toutes les vies ensemble
Le matin n’est que cela cette présence nue
Cet effacement par le rêve