Jean Perguet, Journal du samedi 12 janvier 2019
Laissez-moi de Marcelle Sauvageot, Libretto, 2012.
J’adore fouiner dans les bibliothèques des autres. Certes une façon indiscrète de pénétrer l’intimité des gens, mais dans le cas d’un court séjour, souvent un week-end, après avoir sélectionné un petit ouvrage, ceux que l’on peut achever d’une traite, une manière de partager affectueusement, amicalement, bien plus qu’un souvenir de lecture pour l’un et une découverte pour l’autre.
J’ai donc lu Laissez-moi d’une traite, avec la certitude d’avoir déniché, après le survol de la préface, un objet rare : le livre unique d’une agrégée de lettres (qui passa une bonne partie de sa vie en sanatorium et y écrivit ce petit livre dans sa dernière année), mais aussi, puisque je suis dans mon cycle des correspondances, la perception de trouver ici non pas une lettre reçue ou sa réponse, mais quelque chose de bien plus sublime puisqu’il s’agit des « commentaires » d’une destinatrice qui réagit sur un mot, une phrase, un non-dit, une faiblesse, une hypocrisie.
Les commentaires (c’était le titre d’origine) de quelques lettres évasives reçues de l’amant qui ne vient plus la voir, puis de l’ultime, la lettre de rupture.
Est-ce parce que cette femme y dissèque le masculin, souvent son égoïsme et son conformisme, sans aucune rancœur, avec des mots justes, sans compromis, que je me suis emparé de ce dérangeant et impliquant récit ? Je ne sais. L’autopsie d’une relation amoureuse, de ses faux-semblants et des complaisances que nous avons parfois vécus.
Oui, il a fait mouche, sur moi, lecteur mâle qui découvre ici un livre au féminin, qui juge, sans rancune mais sans concession, l’amour masculin, les amitiés masculines, nos élans, nos illusions, nos égoïsmes. L’autre côté de la lettre, celui qui peut blesser par de très cruelles maladresses.
Un livre qui avait déjà ému Claudel ou Valéry, qui l’avaient fait connaître.