Jean Perguet, Journal du mardi 1er janvier 2019
Lettre au père de Franz Kafka, Gallimard, Folio, 2002.
« Très cher père. Tu m’as demandé récemment pourquoi je prétends avoir peur de toi. Comme d’habitude, je n’ai rien su te répondre, en partie justement à cause de la peur que tu m’inspires, en partie parce que la motivation de cette peur comporte trop de détails pour pouvoir être exposée oralement avec une certaine cohérence. »
Quelle violence que cette lettre de cinquante pages, écrite — mais jamais envoyée — par un fils à son père, par un adulte à un vieillard, un fils qui règle ses comptes, décrit une famille dysfonctionnelle (on les nomme comme cela aujourd’hui). Une lettre qui, si elle justifie peut-être la noirceur du monde kafkaïen, est une référence de la forme épistolaire. Sidéré, j’ai hésité en permanence entre vérité autobiographique et invention fantasmatique dont la violence me touchait, me meurtrissait. Peut-être plus encore quand Kafka décrit la cruauté qui entoure sa propre mère, sur laquelle retombe toute la haine de la famille, une femme dramatiquement partagée entre la domination affective du père et l’amour de ses enfants. « Ma mère était infiniment bonne pour moi, c’est vrai, mais ce n’était que relativement à toi, c’est à dire, pour moi, dans un mauvais rapport. Sans le savoir, elle jouait le rôle du rabatteur à la chasse… » Lettre que j’espère encore fiction !