Chronique d’hiver

Jean Perguet, Journal du vendredi 26 avril 2019

Chronique d’hiver de Paul Auster, Actes Sud, 2013.

Drôle d’idée : Paul Auster a 64 ans. Pour la première fois (pourquoi précisément à 64 ?) il sent qu’il est passé dans la dernière saison de sa vie, son hiver. Et il sent le besoin absolu de raconter les saisons précédentes. D’où cette autobiographie sous forme de chronique. Et cela m’interpelle. J’ai presque le même âge. Ce n’est pas le constat du temps qui passe, ni celui du temps qui reste, qui m’amène au même dérivatif, ce sont les évènements qui touchent ceux qui sont en hiver, maladie, déchéance, disparition, auxquels je suis subitement de plus en plus fréquemment confronté, que me fait sentir ce vent hivernal et me pousse, moi aussi, mais sous forme de nouvelles où la réalité vécue se mêle à la fiction, forçant ainsi les lecteurs que seront peut-être les miens, à accepter de (me) comprendre par une relative distanciation et la place du doute.

Paul Auster, pour brûler les pistes, a choisi lui, une forme particulière, une espèce de lettre qui s’adresse à ces potentiels héritiers. Il s’adresse à eux en se tutoyant lui-même. Et ce « Tu » met évidemment une distance nécessaire pour rester lui-même, sûrement moins impliquant que le « Je ».

Autre ressource, passer par un médiateur, d’où l’ingénieux inventaire de « ces maisons où tu as vécu ». Un voyage dans le temps, dans les lieux, où ta vie devient alors un accessoire signifiant.

Directe, si cela semble écrit sans pudeur, cette chronique d’hiver est aussi une magnifique « lettre » d’amour à celle qui accompagna « Tu », femme et surtout complice.

J’ai lu avec émotion ce 30e anniversaire de vie commune : « À cet égard, cette soirée n’est pas différente de n’importe quelle soirée de votre vie conjugale, car vous avez toujours parlé tous les deux, c’est même, d’une certaine façon ce qui vous définit : pendant toutes ces longues années, vous avez vécu à l’intérieur de la longue conversation ininterrompue qui a commencé le jour de votre rencontre. » que je plagierais bien pour mon 20e d’un nous et d’un nôtre.

Parfois dans les lectures qui se suivent on est frappé par des coïncidences. Ce 64e anniversaire, cet hiver a été marqué par une attaque cardiaque, douloureusement décrite, inquiétante. Exactement comme le fit Lucien Suel1 dans le livre précédent.
De quoi refuser d’avoir le même âge !

 

1Mort d’un jardinier, Lucien Suel, La Table ronde, 2008.