incertain regard – N°16 – Eté 2018
Brisée des commencements
« Éclair où se poursuit la ronde du matin
c’est l’hirondelle elle est blanche
Noir passant qu’en sais-tu »
Joë Bousquet, La Connaissance du soir
Aveu liminaire
Comme une pierre
rassemble ses forces
et les jette en bas de la pente
comme le pas d’un homme
qui hésite à passer un seuil
est déjà de l’autre côté
comme la flamme d’une bougie
vacille un instant d’inquiétude
et se redresse plus vive
ainsi j’écris ceci.
L’histoire commence abruptement
au milieu d’un paysage
de toutes les couleurs.
Seule au centre de l’image, une fille
en noir et blanc
s’inquiète
d’avoir perdu quelque chose
comme l’essentiel.
D’un geste tendre, malhabile peut-être
elle essaie de rassembler les couleurs
et d’en faire son vêtement.
Mais ce vêtement
est déchiré
ou bien trop grand pour elle
aussi mon histoire
n’en est pas une
elle se rompt, se déchire
en lambeaux
comme ce vêtement vivant
dont je t’habille
en enlevant le mien dans le noir
Je tire un fil
et c’est tout le bruit des souvenirs
qui vient rouler sur la page
dans le plus grand désordre
au fond de la chambre
il y a la mer – et dans les profondeurs de la mer
un arbre
qui a soif
voilà mon histoire – inutile
d’en chercher l’ordre ou la mesure
il suffit d’accepter
ce que dit la lumière
à chaque soubresaut du chemin
J’écoute battre l’eau du matin
contre la vitre
je pense à l’herbe arrachée
de l’enfance
à ce crime, à cet
accident de lumière
au fond de mon
ventre de fille
d’un coup j’ouvre la fenêtre
et je reçois
les consolations de la pluie et du vent
sur mon visage
Il y a sur le mur
cette empreinte indélébile
il y a dans la poitrine
un désir d’oubli
il y a la pudeur
du geste
de seulement effleurer la beauté
pour ne pas la détruire
il y a la clarté silencieuse
des choses pétries de terre et d’eau
Pour te réconcilier
avec l’ineffaçable
il y a ces êtres rares
qui ne laissent pas de trace
et le vol des oiseaux dans le boucan du jour
Sous l’étoile indifférente
et le nuage lourd
par le lierre et la tramontane
qui me courent dans les jambes
je vais où l’ignorance heureuse
ébauche une éclaircie