incertain regard – N°15 – Novembre 2017
Carte blanche à Hervé Martin
Sophie Brassart
Parenthèses de la lumière
(extraits)
Retourne-toi la voilà
la douleur première
langue brune affleurant
sur un front applaudi
Nous avons pris la mesure du caillou
l’astre sec
& le feu & la terre se sont réjouis
Même si tes larmes
ne coulent pas
on dit qu’un sable ensemence les peines
Ne reproche rien au désert ni au geste
le présage franchi
c’est la saignée de l’homme
en vain
au détour de la nuit
◊
Donc, la nuit
Pas d’inventaire
Pas de calcul pas de signe
Seulement il s’élevait des ronces
Une griffe sur la commissure des lèvres
Un leurre sur le visage
sans visage excitant
les ténèbres et les ronces
déchiquetaient
chaque hypothèse aride, sensuelle
& la lune verte
& ce silence qui bat dans l’homme
comme un être
plus grand que lui
Cuisses somptuaires du chaos
dans la cage frêle du temps
Le ciel s’ouvre
Peut-être que c’est trop en moi
ces convulsions
l’abîme & la promesse
les torchères du carnage
Même si on est seuls
avec l’effroi
peut-être qu’il y a un nous
derrière la grille lourde
derrière les murs tièdes
peut-être qu’il y a un nous
Je cherche
derrière le soir
◊
Rivages, caveaux de l’esprit
Le pas du cheval sur
le sable gris
soulève des appétits de carnage
Dans le reflet du monde
Mes pas n’oublient pas l’empreinte
Un vieil homme la mère peut-être aura marché
les bras croisés derrière mon dos
Désirant vivre
j’avale des cendres
Et tout mon corps épointait ceci
Voyager sans ailes
& sans bruit
arrachant un sourire au bitume
Qui m’a rendu libre
dans l’air sitôt rouge
l’éclosion d’une fleur
et de nos silhouettes
Dans le printemps que tu nommes
l’ombre d’un oiseau effaçant les murs
◊
Du vivre ne sait-on jamais
tourner qu’une même page
Écartant d’un revers de la main
les rires les masques
aussi le bourdon strié
(nous sommes frères)
Dans nos multiples & brûlants raisonnements
Dans le cratère laiteux du nuage
si prompt à se défaire
la fleur au vent s’écrit
Elle porte un nom que j’ignore et que devine
le long du chemin de terre
ton enfantine gravité
Sur une eau en allée
(le premier âge d’une île)
Ma langue aiguise ses couteaux ainsi
des rives arrachées
Au bord sans nom
j’ai touché des leurres des spectres
les fabricants de la peur accrochée
au sang de mes lèvres
J’écris ces mots au cœur
d’une longue nuit ouverte
d’où surgissent
ventre sexe sable
& l’ombre de ceux qui se taisent,
comme le soir,
après avoir aimé
◊
Je ne veux pas m’acheter d’histoire
au prix du rachat de l’Histoire
Pouvoir dire je sans convoquer
tous les assassinés les pendus les affamés
Pouvoir dire tu et nous sans lendemains
Evidence du désir
Avec du sel dans la bouche
j’ai fait don de mon poème
à l’or gris des talus
La patience nécessaire pour faire corps
avec le silence des graviers
&
tous nos gestes possibles vivent dans mes mains
A l’horizon se lève
le point lumineux de l’oubli