incertain regard – N°12 – Mai 2016
Carte blanche à Cécile Guivarch
Claude Vercey
Les nombres
Elle m’a dit
Elle m’a dit
tu vas m’écrire un poème
c’était gentil
de penser à moi pour écrire
ça j’aurais dû à l’instant prendre
les jambes à mon cou plutôt
que de l’écouter décrire
le poème que j’allais pour elle
écrire moi qui n’écris plus depuis
des mois mais je suis resté sur le cul
et sa chaise à l’entendre vanter l’art
que j’avais de trousser le poème
depuis qu’elle me connaît ça vraiment
me coûterait peu de peine
trois coups de cuillère à pot
à poème je suppose qu’elle voulait dire
pour toi ce sera peu de choses
te coûtera peu de mots
sauf que celui qui me plaît
de poème que pour moi je t’engage à écrire
est moins affaire de mots qu’affaire
de nombres ça que j’aimerais
je te supplie d’écrire
qu’il nous parle des nombres
tu sais et pas
seulement du un du deux du trois
mais bien pourquoi l’on compte
qu’on a besoin de compter et
pourquoi l’on s’est mis à dénombrer
les choses et les biens et l’enfant pourquoi
il compte jusqu’à trois il s’élance
et sur le mur du trois il se casse le nez
– Non décidément c’est trop
ou trop peu ce poème
j’y renonce désormais
je sais de combien il me dépasse
et pas de un ni de deux ni de trois
de beaucoup
Le poème qui compte
Au bout du compte
qu’est-ce qui compte ?
A partir de quand
ça commence à compter
ce qu’on a fait, pas fait, méfait
– oublié de faire ?
Qu’est-ce qui compte
à l’heure des bilans
des pertes mécomptes et profits ?
Pour toi, pour vous, dites
est-ce que j’aurai compté beaucoup ?
un peu ? Un peu beaucoup ?
Pas du tout ?
J’aurais pu ne pas naître
est-ce que ça aurait
un peu manqué
beaucoup compté
est-ce qu’à beaucoup
ç’aurait compté
sur les doigts d’une main
d’une marguerite
sur les ongles des pieds
sur les jointures du corps ?
Est-ce que sur toi
je peux compter ?
*
C’est le premier poème qui compte
après tant qui ne comptent pas
« Un deux trois : voilà ! »
le premier poème qui compte.